Quand la musique s’émancipe de l’horizon supposé.
Écrit par Cédric LEBONNOIS en collaboration avec le compositeur Clovis LABARRIERE et le photographe Etienne CHARBONNIER, LACRIMAE/Dans une larme ; un reflet s’intéresse à la naissance des larmes, tant du point de vue physiologique qu’émotionnel. Ce concert s’interroge sur ce phénomène propre à notre humanité. Beaucoup de mammifères manifestent leurs émotions, ou font preuve d’empathie. Mais seul le genre Homo a mis en place, quelque part, loin dans le temps, au fil de son évolution, un mécanisme de défense qui le protège et lui garantit la bonne marche de son activité cérébrale face à certains événements émotionnels. Quand, et pourquoi, sont apparues les larmes ? Et surtout, quelles traces nous ont-elles laissées ?
Dans cette quête, LACRIMAE/Dans une larme ; un reflet parcourt autant les gestes symboliques de la préhistoire, comme l’utilisation de l’ocre, que les situations quotidiennes où les larmes viennent soulager nos cœurs assaillis !
Derrière les larmes, derrière la musique, les textes et les images, s’infiltre un regard empreint d’amertume qui révèle la sècheresse humaine de plus en plus perceptible dans nos sociétés modernes. Et si les hommes, les enfants cessaient soudain de pleurer ? Ce spectacle tente des réponses en préservant la douceur des larmes : des larmes de joie aux chagrins salvateurs.
L’ARGUMENT
::: Juin 1921 ::: Site de La Ferrassie, Dordogne ::: Sépulture N°6 :::
On découvre le squelette d’un enfant de trois ans, les pieds pointant vers l’ouest. C’est le corps d’un petit néandertalien qui repose là depuis 40.000 ans ! La tombe est protégée par un bloc de calcaire sur lequel ont été obtenues, par piquetage répétitif, vingt cupules. La pierre a été positionnée de façon à ce que la face ainsi décorée soit orientée vers la dépouille de l’enfant. Personne ne saura jamais comment interpréter ces ornements gravés dans la roche. Alors je les lis comme des traces de larmes. Des larmes qui auraient érodé le roc pour guider l’esprit de enfant dans l’au-delà. Je les pense comme un signe qui nous conduit vers la première larme de l’humanité.
Cette petite histoire de notre préhistoire sert d’argument. De ce THÈME découleront des VARIATIONS : elles structureront cette création pluridisciplinaire où se côtoieront, autour de l’œuvre éponyme de Benjamin Britten, les univers de la musique baroque et contemporaine. J’utilise les larmes comme thème principal d’une réflexion sur l’origine de ces émotions humaines si fortes qu’elles déclenchent les pleurs : dans la peine mais également dans la joie ou dans la contemplation.
Les pleurs sont à l’origine de ce plaisir étrange indispensable au voyage vers les zones d’ombres de l’âme. La quête d’une larme originelle nous amène à vivre une expérience esthétique qui nous force à poser un regard singulier sur nos origines et à envisager de nouvelles perspectives quant à notre devenir.
ENSEMBLE JOSEPH HEL
L’équipe de LACRIMAE/Dans une larme ; un reflet :
Structure musicale à géométrie variable.
Cédric LEBONNOIS, Alto
Emmanuel CHRISTIEN, Piano
Geneviève KOERVER, Violoncelle baroque
Miron ANDRES, Viole de gambe
Fabricio MELO, Luth
NORIG, Récitante
Clovis LABARRIÈRE, compositeur
Denis LACHAUD, mise en scène
Nicolas SIMONIN, lumière, régie vidéo
Beatriz ALBUQUERQUE, traduction en portugais
Photo : Masha Mosconi
TEXTES : CÉDRIC LEBONNOIS
« LACRIMAE/Dans une larme ; un reflet » est un spectacle transdisciplinaire dont l’objet est l’origine des larmes.
Musiques baroques, créations contemporaines, vidéos, et textes poétiques, servent de guide dans ce projet où toutes les larmes se retrouvent convoquées : des chagrins salvateurs aux larmes de joies.
Cette création repose sur un agencement de différentes formes artistiques. Au centre : la sonate pour alto et pianode Benjamin Britten, « Lachrymae ». Cette pièce structure le projet en servant de canevas dans lequel sont agencés toutes les autres pièces. Les éléments interagissent alors pour former un ensemble organique, poétique et vivant.
Vous entendrez les mélodies baroques anglaises de John Dowland, qui ont servis à Benjamin Britten dans sa composition ; également des pièces baroques de Monsieur de Sainte Colombe et de Marin Marais ; vous découvrirez surtout, en première mondiale à Sagonne, la « Suite instrumentale pour ensembles variés » de Clovis Labarrière, composée spécialement pour ce projet.
Il y a sur scène un effectif instrumental double : un continuo baroque et une formation sonate moderne. Il y a aussi sur le plateau une installation scénographique constituée de deux créations plastiques : « L’attrape-larmes » et « La larme originelle ». Pour compléter le dispositif, l’ensemble accueille une narratrice, NORIG, qui interprète mes textes. Ce projet est ainsi pensé autant comme un concert que comme une « installation » qui interroge sur ce phénomène propre à notre humanité que sont les larmes émotionnelles.
Tous les mammifères pleurent : pour hydrater la cornée. Beaucoup de mammifères manifestent leurs émotions, ou font preuve d’empathie. Mais seul l’Homme pleure en réaction directe à une émotion. Seul le genre Homo a mis en place, au cours de son évolution, un mécanisme de défense qui le protège en lui garantissant la bonne marche de son activité cérébrale face à des événements émotionnels particulièrement forts.
Quoi de mieux que la musique et la poésie pour réfléchir à cet aspect de notre condition humaine : surtout si la perspective d’une disparition massive de ce don des larmes venait à être constatée chez nos enfants !
Qu’adviendrait-il alors d’une humanité qui ne pleure plus ? C’est une réflexion plus globale qui se dégage alors de ce projet.
COMPOSITION : CLOVIS LABARRIÈRE
À la recherche de la belle contrainte… Ou comment rendre homogène les différentes parties musicales d’un spectacle comportant le Lachrymae de Britten (de forme thème et variations) et des œuvres de compositeurs baroques ?
Ma musique a certes son entité propre mais a pour fonction ici de servir de liant entre des univers musicaux à première ouïe disparates. Il ne s’agit pas de “s’insérer” entre les œuvres d’autres compositeurs en écrivant à la manière de Britten ou Dowland pour tenter de passer inaperçu au profit d’une forme globale fluide. Ma volonté est plutôt d’articuler chacune de ces pièces par le biais d’interludes ayant leur autonomie et leur esthétique spécifique. Ces interludes sont en quelque sorte, eux aussi, des variations qui font échos à l’œuvre de Britten et à certaines des pièces baroques. La solution à la problématique initiale est donc trouvée dans la technique même de variation du Lachrymae. Ne pas imiter le style d’un compositeur mais faire varier le processus créatif de celui-ci. Cela permet ainsi de créer des résonances formelles, rythmiques, harmoniques, mélodiques entre les œuvres du spectacle tout en assurant la singularité de chaque pièce que j’ai composée.